ひきポス -ひきこもりとは何か。当事者達の声を発信-

『ひきポス』は、ひきこもり当事者、経験者の声を発信する情報発信メディア。ひきこもりや、生きづらさ問題を当事者目線で取り上げます。当事者、経験者、ご家族、支援者の方々へ、生きるヒントになるような記事をお届けしていきます。

Élargir la Notion de « Hikikomori » - Réflexions à propos d’une époque où n’importe qui peut devenir Hikikomori:1ère Partie

f:id:Vosot:20181211210657j:plain

 
Texte par Vosot Ikeida
Traduit par Vosot Ikeida et Finch

 

 

 

Les “Hikikomori” Sont Partout

Je crois que ceux que nous appelons aujourd'hui « hikikomori »(ひきこもり)ont peut-être bien existé en nombre, depuis longtemps, dans le monde entier. En d'autres termes, ils ne sont pas le produit spécifique de la société japonaise moderne, ni d’une société industrialisée avancée. Partout où une société humaine a existé, il y a eu un certain nombre de personnes dans l’incapacité de s'adapter à la « vaste majorité des autres » et qui ont peut-être vécu tels des « hikikomori », comme nous appellerions cette condition aujourd'hui. Je suppose que c'est toujours le cas actuellement.

On peut trouver de profondes similarités entre ceux (du type « sotokomori ») qui se retirent aujourd'hui et le style de vie des jeunes des années 1960 qui passaient tout leur temps à se battre sur les campus universitaires. Ces derniers, cependant, avaient toujours une idéologie politique naïve à laquelle ils pouvaient s'accrocher ; en tant que tels, ils n'étaient pas considérés comme des « hikikomori ». Pour la génération d'aujourd'hui, la question de l'idéologie politique n'est plus si simple, surtout depuis l'effondrement du mur de Berlin. De plus en plus de jeunes gens se disent : « aussi affutées soient ma conscience politique et mes pensées, je ne peux me conformer à aucune idéologie, je ne peux agir conformément à une idéologie ». Et ces jeunes, alors qu'ils font face à leur détresse dans leurs chambres, se retrouvent qualifiés de « hikikomori ».

Malgré l'absence de statistiques publiques, de nombreux cas de hikikomori ont été confirmés en Europe. Selon Marco Crepaldi, président de la première organisation italienne de hikikomori, "Hikikomori Italia", le nombre de personnes socialement retirées en Italie est estimé à près de 100 000 à l’heure actuelle, en décembre 2018.

Mais je prévois que ces chiffres vont augmenter dans les années à venir : l'Italie vient juste de connaître la « 1ère année de son ère hikikomori » en 2017, même si le terme lui-même y est encore largement inconnu. Dorénavant, de plus en plus de cas de hikikomori seront mis à jour. Et je ne parle pas seulement de l'Italie : d'une certaine manière, la France a également connu la « 1ère année de son ère hikikomori » en 2018.

Les entrevues avec le hikikomori philippin; CJ (* 1) et le hikikomori bangladais Ippo (* 2) précédemment publiées dans Hikipos ne vont peut-être pas jusqu’à le prouver, mais elles offrent des indices importants quant au fait qu’il existe des personnes en retrait social partout dans le monde, indépendamment du niveau économique des sociétés considérées.

 

f:id:Vosot:20190114224553j:plain

Dhaka, Bangladesh     Photo par Pixabay

À la Recherche de l'Existence de « Hikikomori » dans l’Histoire

Si l'existence de hikikomori en dehors du Japon a été largement démontrée, comment pouvons-nous prouver que cette condition existait déjà par le passé ? Eh bien, historiquement parlant, nous ne pouvons pas — puisque nous ne pouvons pas voyager dans le temps. Pour trouver des preuves récurrentes de l'existence des hikikomori dans l’Histoire, nous pouvons nous appuyer sur la méthode décrite par Michel Foucault dans Folie et déraison : Histoire de la folie à l'âge classique (1961) ou Histoire de la sexualité : la volonté de savoir (1984, inachevé) afin d’exhumer l’existence de « hikikomori » dans des documents anciens.

Là, certains noms me viennent à l’esprit : Lao-Tseu, Diogène ou des moines bouddhistes comme Bodhidharma et Kenkô.

Mais ces personnes, alors, n’étaient pas qualifiées de « hikikomori ». Il n'existait pas encore de mot de ce genre, et de toute façon, cela ne nous aiderait en aucune manière à extraire du passé l'existence de personnes hikikomori.

En tant que combinaison de deux verbes couramment utilisés en japonais – « hiku » (引く / revenir en arrière) et « komoru » (籠る / s’enfermer) –, le terme « hikikomori » est un mot extrêmement naturel en japonais. En somme, il ne s’agit pas d’un mot artificiel tel que les récents néologismes « tsundere ツンデレ » (= une personne initialement froide, mais qui montre un côté plus chaleureux et sympathique au fil du temps) ou « neto-uyo ネトウヨ » (= néo-nationalistes interagissant presque entièrement au sein de leur propre cyber-communauté, à l’écart du reste de la société japonaise). C'est pourquoi même les poètes de l'ère Heian (平安時代, 794-1195) auraient pu s'en servir. Ce terme a peut-être bien existé depuis très longtemps en japonais, bien qu'il ait eu une nuance différente à l'époque, comme tous les locuteurs natifs japonais peuvent l'imaginer. Mais comment le sens actuel du mot « hikikomori » s'est-il propagé ? Quelles sont les images qui s'y rattachent ?

D’aucuns se demanderont peut-être pourquoi il me faut encore expliquer cela à l’heure actuelle, mais j'aimerais faire un bref topo sur cette question avant la fin de cette année 2018, car il semble que l’on se trompe encore beaucoup à ce sujet.

 

f:id:Vosot:20181211211806j:plain

L'Origine du Terme « Hikikomori » tel que Nous l'Utilisons Maintenant

Au tout début, il s’agissait de quelque chose qui n'était pas spécifiquement japonais.

L'expression de « retrait social » a été utilisée pour la première fois dans le DSM-III, publié en 1980 par l'American Psychiatric Association en tant que norme mondiale de diagnostic des troubles de santé mentale. Il n'était pas employé pour désigner une pathologie, mais comme l'un des symptômes diagnostiques de la schizophrénie et de la dépression. Dans la traduction japonaise du manuel, cette expression a été rendue par le terme de « hikikomori », qui est donc officiellement apparu au Japon en 1989.

De la même manière que ce qui fut étiqueté dans les années 1980 comme « syndrôme de refus scolaire » (tôkô kyohi-shô 登校拒否症) a bientôt donné lieu au terme « futôkô » (不登校, littéralement : « qui ne va pas à l'école »), le phénomène « hikikomori » a, dans la même perspective, été étendu pour décrire le mode de vie de certains jeunes, un mode de vie activement mis en évidence au cours des années 1990. Durant cette décennie, de nombreux penseurs et journalistes ici et là ont partagé leurs théories sur la question à plusieurs reprises. Parmi les livres alors publiés, on trouve entre autres :

 
1995 --- Shiokura Yutaka, journaliste du quotidien Asahi Shimbun, commence à publier une série d'articles sur les hikikomori.

1996 --- Tanaka Chihoko, Hikikomori - Renouer une relation de dialogue, Science-sha.

1997 --- Ikegami Masaki commence à publier des articles ponctuels sur les hikikomori dans les pages du Sunday Mainichi.

1998 --- Saitô Tamaki, Le retrait social, ou l'adolescence sans fin, PHP Shinsho.

1999 --- Shiokura Yutaka, Le retrait social de la jeunesse, Youth Center. (Compilation révisée de sa série d'articles pour le quotidien Asahi.)

1999 --- Kondô Naoji, Kuramoto Nobuhiko, Hasegawa Toshio (dir.), Compréhension et assistance des démunis sociaux, Hobunsha.

2000 --- Tomita Fujinari, Le voyage du nouveau hikikomori, Heart Publishing.

2000 --- Kano Rikihachirô & Kondô Naoji (dir.), Le retrait social chez les jeunes : contexte psychosocial, pathologie, assistance et traitement, Iwasaki Gakujutsu Shuppansha.

2001 --- Ikegami Masaki, Chroniques de la réintégration de personnes hikikomori – Rapport d'activité de groupes de soutien, Shogakukan Bunko. (Compilation de ses articles pour le Sunday Mainichi)

 

Naissance de « l'Image Prototypique du Hikikomori »

Bien que ces ouvrages soient notoirement constitués de critiques dirigées contre les hikikomori par des personnes que nous appellerions maintenant des « expertes » en la matière, des descriptions du phénomène hikikomori avaient alors déjà été tentées par des tojisha(* 3) et leurs proches, pavant d’une certaine manière la voie à nos initiatives actuelles pour faire entendre la voix des intéressés.

2000 --- Taguchi Randy, Outlet. Un roman sur les hikikomori, inspiré par le grand frère de l'auteur.

2001 --- Katsuyama Minoru (*4) personne hikikomori, publie Le calendrier du hikikomori.

2001 --- Kamiyama Kazuki publie Moi, ancien hikikomori.


2001 --- Takimoto Tatsuhiko personne hikikomori, publie son roman Bienvenue dans la NHK.  Ultérieurement adapté en une série animée qui connaîtra un grand succès international.

2001 --- Murakami Ryû, La Dernière Famille. Un roman sur les hikikomori, plus tard adapté en feuilleton télévisé.

2001 --- Abe Yoshiharu, Nipponia Nippon (roman). Nommé pour les prix Akutagawa et Mishima.

2002 --- Home (film). Un documentaire tourné par un jeune homme filmant son frère aîné.

2003 --- Moroboshi Noa, personne hikikomori, publie Hikikomori Sekirarara (« Hikikomori aussi vrai que nature »).

2003 --- La chaîne publique NHK lance une « campagne de soutien aux personnes hikikomori ».

2003 --- Murakami Ryû, Parasites. Un roman sur les hikikomori, écrit dans une perspective différente de La Dernière Famille.

2004 --- L’intérêt de la société bifurque des « hikikomori » aux « NEET » à la suite des propos chocs d'un jeune homme : « si tu travailles, tu perds ». Le boom NEET produira plus tard des célébrités telles que pha. (* 5)
  • *3.tojisha (当事者) : Terme japonais dont le sens abstrait rend la traduction difficile et complexe. Généralement, il désigne une personne qui s'identifie comme appartenant à un groupe ou à une condition donnée, ou qui revêt simplement certains caractères ou attributs. Par conséquent, il nécessite presque toujours la présence d'un complément de spécification déterminant la « catégorie » d'appartenance du tojisha (par exemple : « tojisha de hikikomori »). Habituellement opposé aux « tierces parties », « observateurs », etc. Nous l’utilisons dans ce contexte en opposition aux « experts » externes.
  • *5. Je me suis en partie référé à une publication Facebook de l'auteur hikikomori Satô Manabu pour créer cette liste.

 

f:id:Vosot:20181213231314j:plain

Comme nous pouvons le constater, aux alentours de l'an 2000, de nombreuses déclarations ont été faites à propos des hikikomori par les experts comme les tojisha. L'image qui s’est alors propagée faisait donc tout d'abord référence à un produit bien spécifique de la société japonaise, et plus particulièrement à :

Un jeune homme célibataire ne sortant jamais de sa chambre à l’étage de la maison que ses parents ont sué pour faire construire, demandant à sa mère de lui apporter les repas à sa porte et passant tout son temps à jouer à des jeux vidéo.

C'est-à-dire, à une image plutôt sombre et autocentrée, que j'ai décidé d'appeler ici « l'image prototypique du hikikomori ». Mais en réalité, les hikikomori qui se rapprocheraient le plus de cette figure archétypale de l’individu n’esquissant jamais un pas hors de leur chambre  représenteraient maintenant moins de 3% de tous les hikikomori. (*6)

  • *6. Sekimizu TeppeiL'expérience hikikomori et la sociologie, Sayusha, 2016.

Or, l’assomption erronée que ces « moins de 3% » représentent la totalité de celles et ceux qui se retirent de la société est à l’origine de nombreux discours et rapports tout à fait biaisés au sujet des personnes hikikomori. En outre, vers l'an 2000, plusieurs incidents criminels liés à des hikikomori rejoignant cette image prototypique se sont produits les uns après les autres. Citons :

1999 --- Le meurtre d'un écolier de Kyôto, ou affaire Terukuhanoru.

Un élève en école préparatoire de 21 ans, insatisfait par le système scolaire, tue un élève de CE1 dans la cour de son école primaire.



2000 --- 
L'affaire du détournement d'autobus Nishitetsu

Un hikikomori âgé de 17 ans s'empare d'un bus et tue sans distinction.



2000 --- 
L'affaire de séquestration à Niigata

Un hikikomori âgé de 28 ans avait gardé chez lui une fille pendant plus de neuf ans. Celle-ci avait 9 ans au moment de son enlèvement.


Chaque fois que de tels incidents se produisaient, les citoyens ordinaires commençaient à se dire : « alors c’est donc ça, un hikikomori … », renforçant de fait l'image attachée aux retirants sociaux comme étant des existences négatives, troublées et à redouter. Que le gouvernement métropolitain de Tokyo n'ait pas attribué jusqu’à présent la responsabilité des mesures relatives aux hikikomori au Bureau de la protection sociale, mais à celui de la jeunesse et de la sécurité publique, me paraît comme une conséquence indirecte de ces incidents, quoique le discours donné l’autre jour par la gouverneure Koike Yuriko contenait des signes évidents qu'une certaine réorganisation allait être menée  (*7)

  • *7.  En janvier 2019, après la publication de la version japonaise de cet article, la gouverneure de Tokyo Koike a annoncé que le département chargé des hikikomori serait transféré au Bureau de la protection sociale dès avril 2019.

 

f:id:Vosot:20181213231938j:plain

L'Image Biaisée du « Hikikomori » Qui S'est Ancrée

La perception d'une société se forme généralement de manière réflexive. Suivant ces tendances, les citoyens ordinaires ont fini par développer des sentiments discriminatoires et insultants à l'égard des personnes hikikomori, alors que les plus sensibles de ces retirants s’écroulaient sous le poids de ces regards.

Ceux qui éprouvaient à l'origine des difficultés pour sortir ont donc vu cette tâche se compliquer encore davantage. C’est ainsi qu’il a commencé à se produire une véritable réclusion chez ces hikikomori : bien qu'ils ne soient pas confinés chez eux contre leur volonté par un tiers en position d’autorité, il leur a fallu se barricader volontairement pour espérer échapper aux yeux des voisins. Aujourd’hui, un tojisha de hikikomori affirmant « qu’il ne s’est pas retiré par lui-même, mais qu’on l’a poussé à se retirer » vit probablement dans un tel environnement.

De nombreux médias, une fois qu’ils avaient créé leur « image prototypique du hikikomori », se sont retrouvés piégés par celle-ci. Ils ont commencé à ne plus essayer de la mettre à jour. Au contraire, même, ils ne pensaient plus qu'à reproduire l’image habituelle avec une intention plutôt claire. Certains de ces médias continuent encore à le faire actuellement.

Je songe par exemple au personnel d'une chaîne de télévision étrangère venu à Tokyo cette année afin de couvrir le sujet des hikikomoris au Japon. « Nous voulons filmer des hikikomori, présentez-nous-en », m’a dit le journaliste. Je les ai donc amenés avec moi à une réunion rédactionnelle de Hikipos, dans un lieu où se rassemblent de nombreux hikikomori. Le voici qui me répond : « Non. Ce que je veux filmer, c'est le hérisson bien retiré dans sa chambre ».  -« Mais, Monsieur, maintenant, la plupart des hikikomori sortent comme ça. N'est-ce pas votre rôle, que de rapporter la vérité? » J’ai bien essayé de provoquer une remise en question, mais ça a continué : « Non, non ! S’ils se comportent comme ça, rien ne les différencie des autres jeunes de leur âge. Nous pourrions bien rapporter ces images à la maison, mais nos téléspectateurs ne croiraient pas que ces gens sont des hikikomori. S'il vous plaît, présentez-nous des hikikomori qui ne sortent vraiment jamais de leur chambre ! »

Pourquoi ce gars est-il venu au Japon ?

Tout ceci est ridicule. Même si je l'avais introduit à un hikikomori qui ne sort pas de sa chambre, l'un des « moins de 3% », ce dernier n'aurait probablement pas laissé les caméras de télévision étrangères se faufiler dans son intérieur. Finalement, comme nous n'avions pas d'autre choix, nous avons demandé à des hikikomori tout à fait capables de sortir d’agir comme s’ils en étaient incapables, juste pour le tournage, et avons renvoyé l'équipe de télévision avec une vidéo souvenir.

Rendre possible la couverture médiatique du sujet hikikomori en demandant à des tojisha de jouer un rôle, voilà ce qu’il nous a fallu faire pour répondre à cette demande étrangère de reportage. J'aimerais presque que ces tojisha obtiennent un prix du meilleur acteur et de la meilleure actrice pour leur performance !

À ce rythme-là, l'image réelle des hikikomori japonais ne sera jamais délivrée à l’international, peu importe le temps qui passe. Notons d’ailleurs que ces préjugés ne touchent pas seulement les journalistes, mais également de nombreux citoyens, ainsi que les tojisha eux-mêmes. Chaque fois qu'une personne hikikomori apparaît à la télévision, il y en a toujours une autre pour dire : « ce n'est pas un hikikomori ! Si c’en était vraiment un, il ne pourrait pas apparaître comme ça à la télévision ! ». Même si cette personne ne peut pas faire un seul pas dehors, cela ne signifie pas pour autant que tous les hikikomori lui ressemblent. Mais enfin...

En fin de compte, de telles critiques ont involontairement contribué à reproduire cette image prototypique, sombre et autocentrée du hikikomori. Les hikikomori sont en train de s’étrangler les uns les autres. À ce rythme-là, et peu importe le temps qui passe, la vérité des hikikomori ne pourra même pas se diffuser au Japon. Loin de là, les tojisha ne pourront plus s’adresser directement à la société.

Voici dans quelles circonstances la notion de hikikomori s’est progressivement élargie, quoique des effets néfastes sont également à souligner dans cette tendance au « tout le monde peut devenir hikikomori ». Dans la suite de cet article, nous examinerons donc le processus ayant conduit à considérer un « hikikomori capable de sortir de chez lui » comme un « hikikomori à part entière », tout en réfléchissant à ce que cet « élargissement du concept de hikikomori » nous apporte réellement.

 

... à suivre dans la deuxième partie.

... vers la version japonaise de cet article