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Réflexions sur la Question Hikikomori

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Photo par Ramakant Sharda dans Unsplash - Modifiée par Vosot Ikeida

 

Écrit par Lucien Quayleux

Édité par Vosot Ikeida

 

Hikikomori et Existence

Les hikikomori n’existent pas. Littéralement, un hikikomori (引き籠もり issu du verbe signifiant « se cloîtrer », « s’enfermer ») ne peut pas exister (du latin ex-sistere signifiant « se manifester », « se montrer », « sortir de »).


Le hikikomori fuit l’existence, ou réduit l’existence au minimum, à son irréductible. En effet, il n’est pas si facile de renoncer à l’existence. Ils sont nombreux à s’y être essayé: moines, anachorètes, suicidés, fous, poètes, etc.


L’existence insiste, le hikikomori, comme être hors de l’existence, n’existe pas. Car l’individu, en tant qu’il existe, échoue à être hikikomori. On ne peut pas se retirer de l’existence. Dès lors qu’un hikikomori existe, il n’est plus hikikomori. L’existence ne peut pas accueillir de hikikomori.


Le fait que certains psychologues, journalistes ou même prétendu « hikikomori » français reprennent sans recul, sans aucune question, ce terme qu’ils sont par ailleurs incapable de comprendre littéralement, étymologiquement, culturellement, sociologiquement indique un manque d’exigence intellectuelle.


L’utilisation de ce terme en psychologie est un signe particulièrement inquiétant de l’état de la recherche scientifique et médicale en France, pour ne rien dire de la déliquescence du journalisme. On peut penser que certains profitent de l’attrait d’un mot exotique pour en tirer des bénéfices en termes de prestige social ou financier. Le fait d’user d’un vocabulaire flou pour impressionner ses interlocuteurs est une stratégie bien connue qu’avait notamment utilisé Lacan.


Il existe bien des comportements auxquels certains accolent le terme « hikikomori ». Les travaux de psychologues et de journalistes disponibles en France ou sur internet utilisent ce mot sans jamais en proposer de définition rigoureuse. Le terme est employé pour désigner des individus qui adoptent certains comportements stéréotypés, eux-mêmes variables. La seule chose que tous reconnaissent comme le comportement d’un hikikomori peut être résumé ainsi:
« Le hikikomori est un individu qui reste enfermé et évite au maximum toute interaction sociale. »

Si vous restez enfermé, une autre personne doit vous apportez de la nourriture et vous n’êtes donc pas en situation d’éviter les interactions sociales. Si vous êtes absolument seul, vous devez sortir de chez vous pour chercher de la nourriture, vous ne pouvez donc pas rester enfermé. La définition courante est donc constituée de deux éléments mutuellement incompatibles avec la survie biologique.
Les hikikomoris n’existent donc tout simplement pas, mais cette contradiction dans les termes ne semble pas beaucoup gêner.

 

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Photo par ianknabel66 dans Pixabay

Ce que porte la Psychiatrie

En Asie, et en particulier au Japon, l’individu qui ne tient pas compte des règles de vie collective est considéré comme dysfonctionnel ou malade d’un point de vue psychologique. En Occident, et en particulier en France, l’individu qui ne supporte pas de devoir se battre contre la société tout seul est considéré comme dysfonctionnel, ou malade d’un point de vue psychologique.

 

Des individus jugés comme malades en France car attentif au groupes pourront être jugés parfaitement sains au Japon et des individus jugés malades au Japon car trop individualistes et indépendants pourront être jugés comme parfaitement sains en France. Les comportements japonais et français apparaissent comme dysfonctionnels, bizarres ou maladifs au sein de la société des Pitjantjatjara d’Australie, des Nuer du Soudan, des Nambikwara d’Amazonie ou des Mohave du sud-ouest des Etats-Unis par exemple.


Dans le cas de la France, c’est d’autant plus problématique que les institutions françaises produisent d’elles-mêmes ce que le chercheur américain Maurice L. Farber appelle une « autonomie déficiente ».
Les exemples ne manquent pas pour constater que les psychologues, psychiatres et psychanalystes sont souvent beaucoup plus proches de la rééducation politique que de la médecine.


Un comportement constitue un problème psychologique dès lors qu’il s’éloigne un peu trop de la doctrine idéologico-politique de la classe et du pouvoir dominant. Imposer une norme de comportement, de développement et de progrès nécessite l’usage d’une violence.
Tous les gouvernements modernes ont utilisés la psychologie pour justifier leur politique. Les dissidents soviétiques étaient enfermés au nom du diagnostic de « schizophrénie latente» ou « développement de personnalité paranoïaque».

 

A l’hôpital psychiatrique de Blida, en Algérie française, Frantz Fanon remarque que les patientes françaises se rétablissent rapidement alors que l’état des patients algériens ne fait qu’empirer.


Il constate que les comportements jugés comme normaux et sains par les médecins de l’hôpital sont les comportements à la mode dans la bourgeoisie parisienne mais que les paysans algériens, coupés de leur culture traditionnelle ne peuvent pas se reconnaître dans ces moeurs étrangères et apparaissent donc comme «malades» ou « fous» aux yeux des médecins-psychiatres.


Ces « maladies » « psychologiques » ont donc des causes sociales. D’une manière générale, le développement de la « société moderne» exclut une part toujours plus importante de populations qui sont habituées à vivre selon d’autres critères de dignité ou de prestige social que les critères développées par la bourgeoisie à partir du XIXe siècle. C’est-à-dire essentiellement la consommation ostentatoire de produits « à la mode », et la quête du bonheur individuel.


Il existe de véritables problèmes et maladies psychologiques qui sont largement laissées de côté et ignorées par les psychologues et les psychiatres eux-mêmes. Les psychologues, en tant qu’ils appartiennent à une classe de travailleurs intellectuels issus des milieux les plus privilégiés de la société, ont intérêt au statu quo. L’utilité des médecins dans la stabilité politique d’un pays est très sous-évaluée.


Ainsi 60 à 70% de la psychiatrie concerne la psychotraumatologie alors que la plupart des psychiatres français n’y sont pas formés. La « Mission interministérielle de protection des femmes victimes de violences » a fait une étude auprès des étudiants en médecine en 3e et 4e cycle qui montrait qu’ils étaient plus de 80% à n’avoir jamais entendu parler de prise en charge de victimes de violences ou de soins en psychotraumatologie.


On pourra aussi remarquer que cette mission ne s’intéresse qu’aux femmes alors que ce sont les hommes qui sont le plus massivement touchés par toutes les affections au point d’alimenter une large surmortalité masculine à tous les âges. Mais la société française, comme beaucoup d’autres sociétés, rechigne à s’intéresser aux souffrances masculines et se contente souvent de les nier.

 

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La hutte que vivait Séraphin de Sarov Photo par Wikimedia

La Recherche sur le Mal-Être

Étudier un phénomène comme le comportement des hikikomori suppose d’avoir des outils permettant d’étudier le mal-être. Or le mal-être est un sentiment diffus et intime qui est par conséquent difficile à étudier.


Certaines causes de mortalité comme les taux de suicide sont probablement un bon indicateur permettant d’établir directement l’existence d’un mal-être, comme les taux d’alcoolisme, de consommation de drogue, de maladie mentale.


On peut aussi trouver des indicateurs qui peuvent être reliés à un mal-être de manière indirecte, comme les taux de pauvreté, de criminalité, d’inégalités, d’immigration et d’émigration ou encore les possibilités d’accès aux études supérieures et les possibilités et les conditions réelles d’accès à un emploi ou à une ascension sociale.


Il y a encore d’autres facteurs plus indirects comme la croissance et le développement économique qui agissent sur le fond psychologique profond des sociétés, sur les capacités à fonder un espoir dans le futur pour soi-même ou les générations suivantes, sur le sens de notre activité et donc de notre vie. Si le travail permet d’améliorer collectivement la société ou pas. La confiance qu’on est susceptible de placer dans les institutions et notre prochain influence considérablement la confiance en soi-même.

 

Lorsque les individus n’ont pas accès à certains aspects ou institutions de la vie des humains en société organisée (famille, camarades d’école, sexe opposé, études, travail etc.) un processus d’adaptation passe par la sublimation de ses besoins et de ses désirs.


Dans les sociétés traditionnelles, les moyens de sublimation étaient très limités: l’apprentissage d’un métier manuel ou intellectuel complété par des rituels d’initiation ou de passage à chaque grande étape de la vie. Dans le passé la sublimation avait lieu par la lecture et l’étude des seuls textes existants: religieux, philosophiques ou scientifiques qui permettaient toujours une transformation, un raffinement individuel et collectif.


Cette sublimation est désormais largement détournée par le marketing vers d’autres aspects de la culture: télévision, bandes-dessinées, vidéo, cinéma, jeux vidéo, tourisme. Une grande partie de ces productions culturelles est pauvre et superficielle mais facile d’accès, n’exigeant aucune spécialisation individuelle ce qui peut agir comme un piège narcissique pour des individus ne disposant pas d’autres perspectives de construction individuelle que l’imitation et la consommation.
Ce mécanisme peut conduire à un enfermement culturel et mental qui, lorsque certaines conditions sont réunies, notamment lorsque les soutiens et l’intégration sociale sont déficients ou en cas de problème psychologique préexistant, se transforme en réclusion social, en enfermement physique. Mais cela peut aussi être un choix éclairé.

 

Lorsque Kamo no Chomei (鴨長明) s’installe dans sa cabane de moine dans les montagnes, lorsque Séraphin de Sarov poursuit une vie d’ascèse parmi les ours ou lorsque Henry David Thoreau se construit une cabane prêt de l’étang de Walden, ils n’ont rien, ils sont seuls et loin de tout.


Et pourtant toutes leurs pensées, leurs activités et leur vie est tournée vers la société. Qu’est-ce qui pousse certaines personnes à chercher ou à produire ce qui n’existe pas déjà ? La conscience d’un manque, un regret, une souffrance, ou un désir inassouvi, tout ce qui fait que ce monde peut laisser insatisfait ou intranquille.
Tout l’or du monde ne peut parfois rien contre l’angoisse d’une existence menée face à l’abîme.

 

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Illustration du Dit de Genji, traditionnellement crédité à Tosa Mitsuoki (1617-1691) par Wikimedia

La Difficulté Universelle de Vivre

Le monde est invivable. Le livre de Job et l’Ecclésiaste dans la Bible nous avaient prévenu, rien de nouveau sous le soleil. L’inconvénient est d’être né comme écrit Emil Cioran mais maintenant que c’est fait, on peut essayer de rattraper le coup en restant couché, en vivant la nuit, en évitant l’homme et ses odeurs. Solution provisoire, passagère, comme tout le reste. 

 

Il n’est même pas assuré que la mort soit une issue. Certains disent que tout ce qu’on a à y gagner est une éternité de souffrance en enfer ou une réincarnation en vers se nourrissant de cadavres, ou pire encore. Nombreux sont les penseurs à être d’accord  sur ce point: l’humain est détestable, le monde est infernal. 

 

Chaque beauté et chaque plaisir se paye par une somme de souffrance et de laideur sans fin. Nous sommes de mauvais alchimistes qui transformons l’or en purin. Même la mort est désormais dévaluée, insensée. Jean-Luc Nancy remarque qu’aucune culture n’avait jusqu’ici rendu la mort inessentielle et purement stérile. Notre société et notre culture ne savent plus ni vivre ni mourir. C’est ce qui amène Hans Bellmer a décider de ne plus rien faire qui puisse être utile et Bartleby de Melville se contente de marmonner « I would prefer not to ».

 

Peut-être est-ce d’abord l’idéologie du bonheur qu’il s’agit de refuser. Dans Le Dit du Genji, Murasaki Shikibu (*1) remet en question cette tendance qui nous porte à rechercher une vie plaisante, confortable, sans difficultés et à l’abri, ce qui est selon elle sans intérêt. Au contraire, ce sont les regrets, les souffrances et les échecs qui sont la mesure d’une vie accomplie. Murasaki Shikibu nous invite à continuer de vivre, non pas dans le but de rechercher le bonheur, mais seulement pour profiter encore un peu de ce sentiment déchirant qu’on éprouve devant la vie qui passe, comme des fleurs disséminées dans la brise printanière.

 

1* Les lecteurs intéressés pourront consulter Le dit du Genji de Murasaki Shikibu, en particulier sur notre sujet le chapitre 41 “Illusions” (“Maboroshi”)



(fin)

 

Vers la version anglaise de cet article

Vers la version japonaise de cet article

 

◆◇◆ Profil ◇◆◇

Lucien Quayleux est un hikikomori français. Diplômé en philosophie et en sciences sociales, il a notamment travaillé comme ouvrier et professeur.

 

 

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