Écrit par Constantin Simon
Le Peuple Mystérieux
« Hikikomori »,...
C’est d’abord le mot qui m’a séduit. Ses consonances étranges, exotiques... Son étymologie, sa résistance aux tentatives de traduction... La langue de Molière me paraissait tout à coup bien pauvre… Reclus ? Ermite ? Exilé volontaire ? Rien ne va. Si on a du mal à traduire un mot, c’est que l’on s’approche de quelque chose de complexe.
Fin mars, je venais à peine de m’installer au Japon comme correspondant de France 24 lorsque j’ai choisi comme premier sujet les hikikomori. J’avais déjà vu des reportages sur ce phénomène qui m’intriguait. Etant moi-même quelqu’un de plutôt « social », je voulais découvrir qui sont ces êtres retirés. La rencontre de plusieurs associations m’a rapidement mis en relation avec votre journal.
En avril, j’ai été invité à l’une de vos réunions de rédaction. J’ai été surpris de découvrir que des Hikikomori (que l’on présente dans les médias comme des personnes asociales, enfermées, coupées du monde) sortaient de chez eux, tenaient un magazine, débattaient, échangeaient, avec un rédacteur en chef, des avis contradictoires, des nuances, des subtilités… Même si je ne comprends pas le Japonais, j’ai tout de suite vu que cela ressemblait à une véritable conférence de rédaction.
J’ai été aussi attiré par l’image de la jeune fille en couverture du magazine. Cela jouait parfaitement le rôle d’une couverture, donnant l’esprit du magazine, l’envie d’ouvrir et de tourner les pages, de se plonger dans un univers, de connaître cette jeune fille et ses mystères...
Par sa tenue vestimentaire, sa posture nonchalante, l’icône « retirée » dans son manteau avait un côté « mode ». Paradoxalement elle aurait pu figurer sur une publicité pour une marque réputée. Son nihilisme était tendance, son regard-caméra un défi. J’ai voulu savoir si c’était une vraie hikikomori ou une modèle, et là encore j’ai été étonné d’apprendre que le journal utilisait les services d’une modèle et d’un vrai photographe. Depuis quand les hikikomori embauchent-ils des gens ?
J’étais séduit mais aussi quelque peu désemparé par cette communauté de journalistes-hikikomori, polis et civilisés. Pas de fous, pas d’asociaux. J’ai même découvert un « soto-komori », un hikikomori qui avait voyagé et parlait ma langue !!!
Après la réunion, les « ermites » m’invitèrent à diner au restaurant ! Ce fut le meilleur moment : nous avons pu échanger dans une ambiance très chaleureuse et très sincère. Les gens parlaient d’eux sans pudeur, ce qui est rare au Japon.
Critique contre la Société par les Hikikomori
J’ai senti une certaine proximité avec les membres de Hikipos. Ce qui nous rapproche : la dimension critique, l’insatisfaction constante. En France la critique est le sport national (plus que le football). Nous aimons « contester », rejeter le « système », parler de politique, imaginer une autre société, plus juste ou efficace, plus heureuse.
J’ai compris que tous les hikikomori ne rejettent pas toute la société, mais certainement une certaine forme de société. Le moule. Le conformisme. Ce fut ma première découverte de ce que j’appelle aujourd’hui cette « communauté secrète » des hikikomori, cette « contre-société » ou « société autre », que je porte dans mon cœur. Car, s’il y a une chose que je déteste, c’est le conformisme.
Je suis heureux de ne pas être hikikomori (car j’ai découvert aussi beaucoup de souffrance) mais je suis heureux que les hikikomori existent. Que des gens refusent de se satisfaire de l’ordre établi, qu’ils questionnent nos sociétés.
Ma Position pour Filmer Hikikomori
La découverte de ces journalistes hikikomori, porte-paroles d’une majorité sans doute plus silencieuse, compliquaient néanmoins mon tournage. Soyons franc : comme beaucoup de journalistes, mon but était de parvenir à filmer dans la chambre d’un hikikomori ne sortant pas de chez lui, quelqu’un qui ne veut plus voir le monde que j’incarne. Je ne crois pas que ce soit un cliché. Je n’avais pas choisi que cet hikikomori soit homme ou femme, jeune ou âgé, qu’il vive en famille ou seul, qu’il lise des mangas, joue aux jeux vidéos, tiennent un blog ou ne fasse rien… Je voulais simplement parvenir dans une chambre. Car c’est le lieu où il me semble que tout commence. Ne devient-on pas hikikomori le jour où l’on se retire chez soi ?
Lorsque la NHK diffuse un reportage sur les hikikomori, elle n’a plus à présenter ce phénomène, elle s’adresse au public japonais qui en entend parler depuis trente ans. A l’inverse, la grande majorité de mes spectateurs n’ont jamais entendu le mot « hikikomori ». Il faut donc d’abord que j’explique ce que c’est. Et pour cela la meilleure manière me paraît un portrait dans une chambre. Certains d’entre vous à Hikipos y voient une obsession des journalistes (en particulier Occidentaux), une simplification de l’identité complexe des hikikomori, un stéréotype… Pour moi c’est surtout une question de communication, d’information, non un choix éditorial ou politique.
Mais peu importe, la vie est faite de différences, de points de vue contradictoires qui doivent se confronter. Et c’est bien ce que j’ai senti en discutant avec tant de hikikomoris depuis six mois : la diversité des profils. Ne restons pas seuls. Je souhaite que ce journal maintienne un lien avec ceux qui ont perdu tout lien.
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